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ÉVÉNEMENTS

20/08/2017

Article de presse L'ALSACE

INCORPORATION DE FORCE

Ils ont fourni des armes aux Polonais

Deux incorporés de force alsaciens, qui se trouvaient en 1944 en Pologne, auraient rendu « de grands services à la Résistance polonaise ». Mais ils en ont rarement fait état. Le fils de l’un d’eux, André Fuchs, essaie de faire connaître cette histoire singulière qui témoigne de la diversité des parcours des Malgré-Nous.


André Fuchs devant un projecteur et un canon de la Flak, comme celui qu’utilisait son père, qui est mis en scène au MM

André Fuchs devant un projecteur et un canon de la Flak, comme celui qu’utilisait son père, qui est mis en scène au MM Park de La Wantzenau.

Photo L’Alsace/Jean-Marc Loos

Yolande Baldeweck

« Mon père a dit un jour : “Si nous avions sauvé des juifs, nous serions reconnus comme des Justes. Là ce n’étaient que des Polonais.” », rapporte André Fuchs. L’enseignant strasbourgeois a découvert tardivement que son père, Frédéric Fuchs, dit Fritz, et un autre incorporé de force, René Pierron, ont « fourni des armes et des renseignements à la Résistance polonaise ». Depuis plus de quinze ans, il essaie de faire (re) connaître ces actes d’héroïsme, qui auraient pu valoir le peloton d’exécution aux deux Alsaciens (lire ci-dessous). Seul Jacques Chirac a répondu, en 2005, à son courrier, saluant « le souvenir de ces hommes d’honneur et la loyauté des Alsaciens-Mosellans qui sont restés fidèles à leur patrie ».

La veste en peaux de lapin de Stéphanie

Retour aux années cinquante. Un soir, un homme frappe à la porte de la maison des Fuchs, à la Robertsau. « Mon père et lui se sont étreints. Je n’avais jamais vu pleurer mon père. Ils sont entrés dans la Stub et la conversation a duré des heures », raconte André. Le petit garçon, alors âgé de 7 ans, va se coucher. Le lendemain, Fritz lui dit : « C’était le capitaine Freysz, je l’ai connu pendant la guerre. »


Il y aura aussi un autre visiteur. « Un certain Monsieur Pierron. Papa l’appelait René. Ils ont fait la guerre ensemble », se souviendra l’enfant. Il y avait aussi cette veste en peaux de lapin qui l’intriguait. Une veste « toute rapiécée, faite de peaux cousues les unes aux autres, avec des poils soyeux qui donnaient si chaud ». Lorsque Fritz la mettait, sa femme Frieda, épousée en 1942, lui lançait sur un drôle de ton : « Ah, tu mets la veste de Stéphanie ? » « Il n’y avait pas de Stéphanie dans notre famille », avait constaté le garçon. Lorsque la famille s’installe dans une nouvelle maison, un peu plus loin, la veste de Stéphanie fait partie du déménagement…


André la prenait parfois pour « jouer à la guerre » avec ses copains… Fritz, lui, parlait peu de sa guerre, à part l’une ou l’autre anecdote. Il avait expliqué à son fils unique le drame des Malgré-Nous, mais sans s’appesantir sur son propre parcours. Né en janvier 1915, il avait étudié au Gymnase Sturm jusqu’au bac, avant de reprendre le train de cultures à la demande de ses parents. Après la guerre, il devint fonctionnaire de la ville de Strasbourg et conseiller presbytéral à la Robertsau. Cet homme amène gardait toujours un certain quant-à-soi. Il se taisait lorsque son beau-frère parlait de « Russland… »


À son décès en 1999, André Fuchs, professeur d’histoire au collège de La Wantzenau, retrouve sa Bible, avec une petite cocarde tricolore crochetée. « Mon père m’avait dit un jour : “Si je n’avais pas eu la foi, je n’en serai pas revenu” », témoigne-t-il. Mais surtout, il hérite de ses papiers militaires, avec le certificat de bonne conduite, daté de 1937, du 402e Régiment de défense contre les aéronefs. Lorsque Fritz Fuchs est enrôlé de force dans l’armée allemande, le 3 décembre 1943, il est affecté à une unité de la DCA de la Luftwaffe, avec le grade de sergent.


Chaque jour, il prend des notes – décès de deux de ses hommes, avions abattus, etc. – dans un petit agenda qui recouvre la période 1944-1945. Son fils, qui a récupéré des photos avec ses camarades, a reconstitué son itinéraire à travers le livret militaire. « En janvier 1944, on le retrouve en Pologne, le front change tous les jours », relève-til. Mais surtout, il découvre l’implication de Fritz et de René Pierron dans la résistance intérieure, non communiste. Rien n’est dit de la manière dont les deux hommes ont franchi le pas.


Moment de détente au front. Frédéric Fuchs et René Pierron sont au centre

Moment de détente au front. Frédéric Fuchs et René Pierron sont au centre. DR


René Pierron et Fritz Fuchs, avec un autre Alsacien, Robert Rinderknecht, maire de Turckheim entre 1954 et 1983.

René Pierron et Fritz Fuchs, avec un autre Alsacien, Robert Rinderknecht, maire de Turckheim entre 1954 et 1983. DR

L’attestation de Rose de Guskowska

Le 28 avril, leur unité est à Wieliczka, dans le district de Cracovie. En mai 1944, René Pierron et Frédéric Fuchs entrent en contact avec l’« Armia Krajowa », à Sledziejowice, dans le domaine de Rose de Guskowska-Janicka. Membre de la noblesse polonaise, elle lutte avec ses trois enfants, depuis 1941, contre l’occupant. Dans un rapport rédigé le 12 mai 1948, alors qu’elle est exilée à Everleigh, en Angleterre, elle revient sur le parcours des deux Alsaciens. Ils lui avaient laissé leurs adresses. Une révélation pour André Fuchs. « M. Pierron et son ami (Frédéric Fuchs) ont acquis notre confiance par leur haine des Allemands, leur grand patriotisme français, ainsi que des documents signés par des Polonais auxquels ils sont venus en aide », témoigne Rose. Les deux Malgré- Nous ont procuré à son groupe « des armes et des munitions très précieuses ». Mais surtout, René Pierron la prévient que « les Allemands étaient au courant du projet polonais d’insurrection nationale et avaient pris des dispositions pour mater le soulèvement ». « Prévenu, notre commandement a pu changer la date du soulèvement et éviter des pertes considérables pour notre armée et notre population civile », souligne la résistante.


Elle raconte qu’elle avait proposé à René Pierron de déserter. « Étant classé comme politiquement non fiable depuis son emprisonnement, il savait que ses parents seraient déportés », écrit-elle encore. Et de préciser : « Après la Libération de l’Alsace, son évasion était prévue le 14 janvier 1945. Mais son plan fut déjoué par l’offensive prématurée de l’armée allemande… » Les deux Alsaciens, qui avaient quitté le secteur, connaissaient l’avancée des alliés à l’ouest. Le 24 novembre 1944, Fritz note « Tête de pont américaine sur Strasbourg » dans son agenda. Le 26 décembre, il évoque aussi « des lettres de Mme Guskowska, de Carolina et de Stéphanie ». Le 12 janvier, c’est effectivement l’offensive générale russe.


La 17e Armée allemande fait face aux 59e et 69e divisions de l’Armée rouge (*). Avec 2 millions d’hommes, les Russes, partis de la Vistule pour aboutir à l’Oder, étaient presque quatre fois plus nombreux que les Allemands. L’hiver est glacial. Le 20 janvier, l’unité de Fuchs refuse d’attaquer de front les troupes russes. Un officier SS met les hommes en joue avec son arme. L’un d’eux le fauche d’une rafale de MP 40, avec ce commentaire sarcastique : « Mort au champ d’honneur… »


« Je suis le fils du Dr Freysz »

Le lendemain 21 janvier, jour de la libération de Cracovie par les Russes, un obus explose à 13 h 30 au-dessus de la batterie. Grièvement blessé à la jambe, Frédéric Fuchs va traîner – alors que l’armée allemande est en déroute – de longs mois d’infirmeries en hôpitaux de campagne. Il finit par être rapatrié à Polenz, en Saxe. Le 9 mai, il apprend la capitulation de l’armée allemande. Et deux jours plus tard, les Américains investissent les lieux.


Un capitaine apostrophe Fritz Fuchs : « Sie sind Deutscher ! » L’Alsacien se défend âprement : « Je suis Français. » Lorsqu’à bout de nerfs, il lâche un juron en alsacien, l’Américain change de ton : « Tu es le Fuchs du Fuchs-am-Buckel ! Je suis le fils du Dr Freysz de la Robertsau… » Une rencontre improbable comme on n’en voit qu’au cinéma ! L’officier prend les choses en main. Le « prisonnier » – dont la fiche porte la mention « soldat français » – est pris en charge par la 1st Hospital Unit qui accompagnait la 1re Armée américaine.
Rapatrié le 25 mai par avion sanitaire de Merseburg à Mourmelon, l’Alsacien arrive le 1er juin à Paris et prend le lendemain soir le train pour Strasbourg. « Quand on sait les souffrances endurées par les prisonniers dans les camps russes comme Tambov, et le temps mis pour rentrer en France, cela tient du miracle », observe André Fuchs. On aimerait en savoir plus sur les personnages cités dans ce récit. Originaire du nord de l’Alsace, René Pierron, traducteur au Conseil de l’Europe après sa création en 1949, est décédé dans un accident de voiture. Pourquoi avait-il été emprisonné par les Allemands ?

Que sont-ils devenus ?

Nulle trace dans les ouvrages historiques du capitaine Freysz. Comment s’est-il engagé dans l’armée américaine ? Ses parents étaient restés en Dordogne après l’évacuation, pour ne rentrer à Strasbourg qu’à la Libération. Une rue de la Robertsau porte le nom du Dr Maurice Freysz, ancien conseiller d’arrondissement, décédé en 1958. Il avait deux fils, Robert et Pierre, nés en 1896 et en 1897, décédés l’un à Rouen, l’autre à Dolus d’Oléron, loin de l’Alsace. Quant à Rose de Guskowska, a-t-elle vécu la chute du Mur ? Sans oublier la jolie Stéphanie qui avait offert sa veste à Fritz…


(*) L’historienne Lise Pommois rappelle aussi que le camp d’Auschwitz, situé près de Cracovie, a été libéré le 27 janvier par la 322e division russe.

Le glas vendredi

L’Église catholique en Alsace s’associe à la commémoration du décret instaurant l’incorporation de force des Alsaciens, signé le 25 août 1942. Il est ainsi demandé aux curés de faire sonner le glas vendredi prochain à 18 h. Une intention de prière sera également proposée aux messes dominicales aujourd’hui.


Des Alsaciens exécutés dans tous les pays

L’exposition « La Résistance des Alsaciens », qu’on peut voir jusqu’au 22 août à La Wantzenau, évoque le cas d’incorporés de force, fusillés dans tous les pays d’Europe. Au moins 63 exécutions ont été répertoriées.

Exposition sur la Résistance alsacienne, actuellement au MM Park, 4 rue Gutenberg, à La Wantzenau.

Exposition sur la Résistance alsacienne, actuellement au MM Park, 4 rue Gutenberg, à La Wantzenau.

Photo L’Alsace/Jean-Marc Loos



« Il y a eu des Alsaciens fusillés pour désertion dans pratiquement tous les pays d’Europe. Les Allemands les considéraient comme des traîtres à la patrie », confirme Eric Le Normand, historien qui a travaillé pendant trois ans sur la Résistance alsacienne entre 1939 et 1945, comme chargé de mission de l’Aéria (Association pour des études sur la résistance intérieure des Alsaciens). L’objectif de l’Aéria, fondée en 2002, est de promouvoir des recherches à destination du grand public, et plus particulièrement des collégiens et des écoliers.


Dans l’exposition itinérante sur la Résistance alsacienne, installée actuellement au MM Park, à La Wantzenau – un incroyable musée privé consacré à la Seconde Guerre mondiale (L’Alsace du 1er mars) –, on trouve une carte des incorporés de force exécutés en Europe. Des points rouges de différentes tailles pour 1, 2 ou 3 exécutions. Ce recensement prouve que dans tous les pays où ils avaient été envoyés, des Alsaciens se sont rebellés, en désertant pour rejoindre les lignes « ennemies » ou en commettant des actes de résistance.

« Souvent, ils ont préféré se taire »

Dès lors, le parcours de Frédéric Fuchs et de René Pierron, qui ont aidé des résistants polonais selon le témoignage de l’une d’elle, ne le surprend pas. « Ils sont dans la lignée de plusieurs incorporés de force. Le souci, c’est qu’il n’y a qu’un seul papier », regrette l’historien, en faisant référence à l’attestation de Rose de Guzkowska- Janicka, dont dispose André Fuchs. Une copie certifiée conforme à l’original.


Il y a cependant plusieurs mentions de noms de famille polonais dans le carnet qu’il a tenu entre début 1944 et son rapatriement en Alsace en juin 1945.


Mais Fritz Fuchs n’a jamais raconté son implication et celle de son ami dans cet épisode de la guerre. Si ce n’est à travers des allusions… « Vers 10, 12 ans, je lui avais demandé d’où venait sa cicatrice à la jambe », se souvient seulement son fils qui reconnaît n’avoir pas questionné son père.


« Des recherches sont difficiles par rapport à l’histoire compliquée de la Résistance polonaise », signale Eric Le Normand, en rappelant, ce que souligne aussi André Fuchs dans le mémoire consacré à son père, que les troupes russes, répondant à l’ordre de Staline, ont laissé les Allemands écraser l’insurrection polonaise de Varsovie. « Il y avait de nombreux anticommunistes parmi ces résistants », confirme l’historien.


Parmi les histoires oubliées, Eric Le Normand évoque le cas de René Haenel, 19 ans, de Bischwiller, qui fournissait des armes à des résistants. Arrêté le 10 septembre 1944 dans le secteur de Katowice, il a été condamné à 15 ans de travaux forcés, puis déporté au camp de concentration de Neuengamme, près de Hambourg, où il a été libéré par l’armée britannique le 3 mai 1945.


« Nous avons répertorié deux ou trois cas par pays, y compris sur le front de l’Est, mais ils cachent des multitudes de cas de résistance qui n’ont pas été étudiés », reconnaît-il, en faisant remarquer qu’après la guerre, « faire reconnaître des actes de résistance sous uniforme allemand était très compliqué. Il fallait apporter des preuves. Souvent, les Alsaciens ont préféré ne plus en parler », relève-t-il, en notant aussi que « les faits qu’ils mettaient en avant ne rentraient pas forcément dans les cases de l’administration française ». Aussi Eric Le Normand appelle-t-il tous ceux qui auraient des éléments à prendre contact avec l’association. Car les travaux actuels ne prétendent pas à l’exhaustivité.


CONTACTER laresistancedesalsaciens. 6768@gmail.com. Un DVD complète l’exposition qui sera présentée à Richwiller du 24 au 27 août, et à la médiathèque d’Altkirch du 28 août au 23 septembre, avant de revenir dans le Bas-Rhin.


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